Rationnement et réquisition sous le Siège et la Commune de Paris (septembre 1870-mai 1871) – Réquisition de logements vacants (4e, 5e, 7e, 17e et 18e arrondissement)
Paris connut en 1870-1871 un régime d’exception pour les loyers et les logements : suspension du payement des termes par le Gouvernement de la Défense nationale ; remise des trois termes de guerre (octobre 1870, janvier 1871 et avril 1871) par la Commune ; loi du 21 avril 1871 votée par l’Assemblée de Versailles qui tint quitte les petits locataires des sommes dues sur ces trois termes, le département versant une indemnité du tiers aux propriétaires. C’est cette loi qui fut appliquée à Paris après la Semaine sanglante.
Les réquisitions de logements vides furent aussi monnaie courante, que ce soit en faveur des habitants de la banlieue réfugiés à Paris lors de l’investissement de la ville par l’armée prussienne, ou encore en faveur des habitants de Paris chassés de chez eux par les bombardements prussiens, ou, plus tard, par ceux de l’armée versaillaise lors du second siège. Les autorités qui prononçaient ces réquisitions étaient la plupart du temps les mairies d’arrondissement.
Les documents qui suivent illustrent ces pratiques de réquisition.
Document 1 :
Document 2 :
Les documents 1 et 2 montrent la remarquable continuité, jusque dans le formulaire utilisé, de la pratique de la réquisition sous le Siège et sous la Commune. La loi sur laquelle les autorités s’appuyaient visait en fait la législation sur le logement des gens de guerre autorisant la réquisition dans les villes assiégées (loi du 10 juillet 1791 notamment). La Commune cependant prit un décret spécial, le 25 avril 1871, qui autorisait formellement la réquisition des logements vides pour loger les habitants des quartiers sud de Paris bombardés par les Versaillais. Le 19 mai, une affiche officielle déplorait que les propriétaires et les concierges ne s’empressaient guère de signaler aux mairies les locaux vacants… En conséquence, « les logements, appartements et chambres garnies de meubles, abandonnés, appartenant aux fuyards sont réquisitionnés et mis à la disposition des citoyens dont le mobilier aura été atteint par un obus Versaillais, et cela après enquête. »
Le signataire du document 2 est probablement Adolphe Clémence, un ouvrier relieur, élu de la Commune dans le 4e arrondissement. Précisons que la rue du Renard dont il est question ici n’est pas du tout celle que nous connaissons aujourd’hui. C’était alors une voie étroite et courte, peuplée de vieilles maisons.
Document 3 :
Document 4
Les documents 3 et 4 illustrent l’application du décret du 25 avril 1871.
Le document 3 est un certificat émanant de la Commission communale (c’est-à-dire la mairie) du 16e arrondissement à propos d’une habitante d’Auteuil « bombardée » et qu’il fallait reloger ; il était signé de Xavier Missol, membre du Comité central de la Garde nationale. En foi de quoi, le secrétaire du commissaire de police du quartier Saint-Thomas d’Aquin, dans le 7e arrondissement, ordonna la réquisition d’un logement rue Vanneau en faveur de cette femme.
Le document 4 témoigne de la fréquence de ces réquisitions d’urgence, du moins dans le 17e arrondissement : pièce imprimée, existence d’un « service des réquisitions de logements », tampon officiel… A vrai dire cette « commission des logements » existait déjà à la mairie du 17e sous le Siège, mais le ton avait changé puisque la force armée pouvait être employée si le propriétaire résistait. Précisons que le boulevard de Neuilly est l’actuelle avenue de Villiers.
Ajoutons cette pièce intéressant le 18e arrondissement :
Document 5. Recto
Document 5. Verso
Ce document montre la procédure suivie dans le 18e arrondissement. Le maire ou un élu de arrondissement (s’agit-il de Paschal Grousset ? ) signe un ordre qu’il faut interpréter comme la réquisition des logements vacants d’une maison de la rue d’Aubervilliers, dans le quartier de La Chapelle, et le commissaire de police du quartier somme le propriétaire de la maison de loger un couple… « faute par lui exécuter cet ordre, il sera poursuivi conformément aux lois communales ». Le décret d’avril ne prévoyait pas de sanction en cas de résistance à la réquisition. Dans l’urgence, s’esquissait donc une sorte de droit au logement, peut-être étendu aux personnes sans logis en général. Mais nous manquons de preuves sur ce dernier point.
Mais, après l’écrasement de la Commune et les plaintes des propriétaires, ces réquisitions furent considérées comme nulles et non avenues par les nouvelles autorités, et les bénéficiaires furent très rapidement priés de déguerpir.
Témoin cette pièce, valable encore pour le 18e arrondissement :
L’ordre avait changé de camp.
Sources : Les murailles politiques françaises, t. 2, 1874, p. 533 ; Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier