Jetons des fourneaux démocratiques par Michel Cau (Note publié dans le bulletoin de la Société d’Etudes Scientifiques de l’Aude, tome CX, 2010, p.174)
Description: de forme ovale, le 1er jeton porte à l’avers les inscriptions suivantes : en haut « VILLE DE CARCASSONNE », au centre sur deux lignes « 5 centimes », en bas « FOURNEAUX DEMOCRATIQUES ». Il est en cuivre, pèse 3,18g et mesure 20 mm de large.
Le second jeton se différencie par sa forme ronde avec les bords festonnés et une valeur de 10 centimes. Il pèse 3,23g, mesure 24 de diamètre et est en laiton (don de M Bonnet).
Rappel historique: Il existait à Carcassonne une oeuvre charitable, créée en 1859, dénommée « fourneaux économiques », gérée et dirigée par l’abbé de Niort et tenue par les soeurs de la Sainte famille. Les ouvriers trouvaient là un repas, moyennant le paiement d’une somme modique. Cette oeuvre fonctionna une dizaine d’années semble-t-il. Avec l’arrivée des républicains à la Mairie de Carcassonne, il fut décidé de créer une structure semblable mais d’esprit différent. Proposée par M Lignères, président de la Chambrée Victor Hugo, au Maire de Carcassonne, le conseil municipal décide la création des fourneaux démocratiques par une délibération du 23 septembre 1891. Ce restaurant du peuple ouvre ses portes le 15 janvier 1892 au 22 et 23 rue des Couronnes, on y sert les repas pour 10 ou 15 centimes. Le rapport d’activité de l’institution nous apprend que les fourneaux démocratiques servent en moyenne 600 repas par jour.
C’est une commission municipale qui, avec le versement de 2.000 francs d’aide puis le vote d’une avance de 4.000 francs, démarre cette action humanitaire le premier janvier 1892. Il est décidé qu’une fois établie, cette institution volerait de ses propres ailes ; pour cela, il sera créé une société formée de souscripteurs, dirigée par un conseil dans lequel la Mairie aurait des sièges de droit. Ce schéma séduisant soulève des critiques dès sa conception. Certains fondateurs et notamment Jules Sauzède craignent qu’une société privée ne soit récupérée par la Société de Saint-Vincent de Paul. Pour des raisons diverses, la création de la société tarde et il faudra attendre 1895 pour qu’elle voie le jour. Au cours de ces trois années, c’est la commisssion municipale qui gère les fourneaux démocratiques grâce au dévouement d’un homme M. Saignes. Dès 1893, le préfet demande au conseil municipal de procéder à la récupération de l’avance faite pour la création des fourneaux démocratiques.
C’est au cours de la séance du conseil municipal du 15 décembre 1893 que la question est posée en ces termes: « Avances faites à la Société des Fourneaux Démocratiques » pour solde de frais de dépense » La discussion du conseil municipal porte sur le bien-fondé de ce remboursement. On apprend que les fourneaux démocratiques fonctionnent bien puisque les comptes présentent un avoir de 9.552 francs. Deux camps s’affrontent dont le premier représenté par M. Saignes, dit qu’il convient de respecter les décisions antérieures qui prévoyaient de créer une institution privée sous le parrainage de la municipalité ; ce qui nécessité le remboursement de la somme avancée de 4.000 francs. M Darzens dit qu’il convient de gérer en régie les fourneaux démocratiques. Il fait d’ailleurs remarquer : « Les aubergistes et restaurateurs se plaignent que les fourneaux portent un tord considérable à leur industrie et qu’une des salles de cet établissement est réservée à des consommateurs autres que des gens pauvres ou besogneux ».
En définitive, le conseil municipal vote le remboursement de 1.000 francs pendant quatre exercices, décide que la ville ne réclamera pas les 2.000 francs votés et dit que cet établissement pourra en cas de besoin réclamer une subvention annuelle.
La Société démocratique sera créée en 1895 et dénommée « L’Union philantropique » comme cela était prévu dès le départ, puisque les jetons portent cette appellation. Trois membres du conseil municipal, MM. Le Maire, Ourmet et Darzens sont désignés pour siéger au conseil de la nouvelle société. Ses jetons sont achetés par l’utilisateur et présentés pour bénéficier du repas au siège des fourneaux démocratiques, dès 1892 et jusqu’à 1898.
Analyse de cette opération:
De tous temps, des aides ont été distribuées aux nécessiteux. Ce qui change au XIXe siècle, c’est la nature et les modalités de distribution. Pendant très longtemps, cette aide, la charité, était l’apanage de l’église ; les frans-maçons puis les républicains avec la création de sociétés philantropiques ont donc voulu participer à cette oeuvre en faveur des plus démunis, car selon leur expression: « On ne pouvait laisser le monopole du coeur aux curés ». L’idée nouvelle réside dans l’utilisation du bénéfice des économies d’échelle pour proposer une aide alimentaire bon marché. Déjà, dans les débats, on devine les difficultés, notamement juridiques, que de telles entreprises vont entraîner ; la première concerne ce que l’on a désigné sous le nom de « socialisme municipal », certaines communes peu satisfaites des prestations des commerçants, ayant décidé de créer, ici une boulangerie, là une boucherie. Le juge administratif a créé le principe que les personnes publiques ne peuvent intervenir dans la sphère des activités privées que pour suppléer l’activité privée défaillante. De même, une société, fut-elle philantropique, qui vendrait les produits achetés et transformés par elle, même pour dix centimes le repas, fait acte de commerce, devrait à ce titre être considérée comme une société commerciale et être soumise à l’impôt.
Ces différentes raisons expliquent la précarité de ces institutions, mais on remarquera qu’aujourd’hui encore cette aide se poursuit avec des associations reconnues d’utilité publique comme « les Restos du coeur » qui perpétuent cette tradition d’aide aux plus démunis qui a toujours honoré notre pays. |